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Mieux comprendre pourquoi la science médicale est l’objet de vifs débats

Publié le par Bernard Pradines

Peut-on mieux comprendre pourquoi les débats scientifiques autour de la covid-19 peuvent faire rage et déboussoler nos concitoyens ? Comment l'expliquer ?

Il convient de mieux apprécier les niveaux d'expertise très différents selon les "experts". Votre serviteur peut se vanter d'être expert auprès de l'ANSM[1]. Il ne s’en prive pas, même s’il n’atteint pas dans ce domaine le niveau de certains acteurs médiatisés. Toutefois, mes appréciations, qui me demandent au moins trois mois de travail pour une seule étude clinique, ne sont argumentées qu'à la lumière d'une expérience clinique de terrain en établissement. Je ne suis ni méthodologiste, ni statisticien. A ce propos, on se rapportera aux deux premiers liens suivants avant de me lire dans le troisième si l'on n'est pas déjà somnolent.

Etude critique des résultats des deux études récentes dont les résultats ont été jugés de niveau de preuve fort par Bibliovid (4 et 26 juin 2020) :


[1] ANSM : Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé

Publié dans Covid-19

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Prendre soin des personnes âgées

Publié le par Bernard Pradines

Ce texte a servi de base pour un débat que j'ai animé à Toulouse le 11 mars 2020 dans le cadre de la Journée Mondiale des Soins Palliatifs.

Extrait :

"L’insistance est récemment mise sur le risque d’épuisement des proches aidants. Il s’agit d’une fatigue chronique, provoquée par des contraintes psychiques et physiques, aggravée par l’imprévisibilité des situations et par des ressources insuffisantes, qu’elles soient financières, intellectuelles ou physiques. Une sorte de burn-out non professionnel en somme. La situation peut être encore plus préoccupante avec décompensation psychique sous la forme d’une dépression ou de troubles anxieux. L’aggravation d’une pathologie organique devient possible. Il est même habituel d’entendre parler du décès de l’aidant survenant avant celui de l’aidé. Ceci est vrai et faux. "

En savoir danatage. Texte complet situé après l'image-programme ci-dessous : 

Prendre soin des personnes âgées

Quelques définitions : soins curatifs, soins de substitution et soins palliatifs.

Qui est l’objet du soin ?

Si le soin s’entend au sens large, l’apparition de la dépendance chez une personne âgée fixe le plus souvent le début du « prendre soin ». D’où l’intérêt récent pour la fragilité, phase intermédiaire présumée réversible entre vieillissement satisfaisant et dépendance. La personne aidée est souvent une femme du fait d’une plus longue période de dépendance. C’est le cas trois fois sur quatre en EHPAD[1] où résident en France 728 000 personnes[2] en 2015.

Qui prend soin ?

En établissement, 89% des salariés des EHPAD sont des femmes en 2009. A domicile, ce pourcentage est encore plus important chez les employées. Idem pour les bénévoles dits d’accompagnement[3] : de l’ordre de 27 sur 30. De manière générale, les femmes sont souvent davantage présentes que les hommes auprès de leur parent.

En somme à la question « Qui prend soin ?», la réponse est : surtout des femmes, le plus souvent des conjointes, filles ou professionnelles telles que les infirmières, les aides-soignantes et les aides à domicile.

Depuis un demi-siècle, les soins professionnels se développent sous la forme d’entreprises à domicile ou en établissement, se substituant à l’ancienne mission gratuite des femmes, rôle immémorial dans la famille.

Le déplacement de la fin de la vie dans le sens large du terme vers les établissements est désormais très sensible. Ce sont environ 25% des français tous âges confondus qui finissent leur vie en EHPAD en 2015, pourcentage jamais atteint jusqu’alors[4]. Un quart de nos concitoyens vont décéder en établissement de soins (hôpitaux et cliniques)[5]. Ils sont 59% qui finissent leur vie dans un établissement de ce type, tous âges confondus.

En 2008, en France, 3,4 millions de personnes aident un proche de 60 ans ou plus, à domicile, dans les tâches de la vie quotidienne. Ce nombre ne peut que s’accroitre dans les prochaines décades[6]. Le soutien à domicile est devenu plus difficile pour la famille des personnes âgées. Ainsi, l’éloignement des proches aidants est-il lié en grande partie à l’effondrement quantitatif de la ruralité, à la nécessité de recherche d’un emploi loin de sa famille. S’y ajoutent le moindre nombre d’enfants par fratrie,  l’âge plus avancé du proche aidant quand il s’agit du conjoint,  la généralisation du travail salarié,  la taille réduite des logements, la nécessité de compétences nouvelles du fait d’exigences autrefois inexistantes. Paradoxalement, l’existence de la pension de retraite, censée subvenir aux besoins des personnes âgées, contraint de manière moindre leur entourage.

D’après les diverses enquêtes et études, les proches aidants sont majoritairement des femmes aidantes. En effet, les conjointes vivent plus longtemps que les conjoints, les tâches liées à la dépendance sont traditionnellement attribuées aux femmes. C’est le cas de la gestion de l’alimentation et de l’hygiène vestimentaire et domestique, au moins dans la génération actuelle des personnes âgées. Si la tâche est considérée comme lourde, la proportion des femmes augmente[7].

La santé de celles et ceux qui prennent soin est une préoccupation récente

L’insistance est récemment mise sur le risque d’épuisement des proches aidants. Il s’agit d’une fatigue chronique, provoquée par des contraintes psychiques et physiques, aggravée par l’imprévisibilité des situations et par des ressources insuffisantes, qu’elles soient financières, intellectuelles ou physiques. Une sorte de burn-out non professionnel en somme. La situation peut être encore plus préoccupante avec décompensation psychique sous la forme d’une dépression ou de troubles anxieux. L’aggravation d’une pathologie organique devient possible. Il est même habituel d’entendre parler du décès de l’aidant survenant avant celui de l’aidé. Ceci est vrai et faux. Vrai s’il s’agit de conjoints et si la charge est vécue comme éprouvante, non s’il s’agit d’une aide moins lourde, gratifiante, dans une société qui valorise le soin à ses proches (Schulz et Beach, 1999)[8]. En effet, l’aide ne revêt pas qu’une dimension affective ; elle est aussi fortement connotée moralement.

Dans l’étude évoquée ci-dessus[9], les auteurs constatent un accroissement de 63% de la mortalité des aidants par rapport à des personnes non aidantes ou qui ne se sentent pas éprouvées par l’aide. Mais l’étude ne porte que sur des conjoints aidants âgés de 66 à 96 ans. De plus, il s’agit d’aidantes et d’aidants assumant une charge dont ils se sentent éprouvés.

Depuis 1999, des résultats différents, voire opposés, sont publiés. Brown prend le contrepied des conclusions publiées en 1999 : c’est une diminution de la mortalité qui est observée (Brown et al, 2009)[10]. Ainsi, pour Perkins (Parkins et al, 2013)[11], ce n’est pas l’aide en soi mais le stress intense vécu par l’aidant qui conditionne l’augmentation de la mortalité par rapport aux non-aidants. Une situation qui ne se retrouve pas chez les aidants déclarant un stress faible.

Mieux, une étude plus récente tend à démontrer un bénéfice de l’aide sur l’espérance de vie. O’Reilly (O’Reilly et al, 2015)[12] fait état d’une moindre mortalité, quelle que soit l’intensité de l’aide mais plus significative en cas d’aide inférieure à cinquante heures par semaine. Une durée de vie dont l’augmentation témoignerait de la congruence avec des valeurs fortes d’une société ? Une motivation à vivre pour aider l’autre, un sens positif donné à sa vie ?

Le cinquième commandement ne prescrit-il pas : « Honore ton père et ta mère, afin d’avoir longue vie sur la terre que te donne le Seigneur ton Dieu » ? En somme, les auteurs de la Bible auraient-ils constaté ou pressenti une réalité liée aux bénéfices de l’aide : vivre plus longtemps si l’on aide ses parents ?

Soins curatifs, prendre soin et soins palliatifs

Les soins curatifs visent à guérir la personne en éliminant la maladie. Chez les personnes âgées, cette situation n’est pas rare mais elle est bien moins fréquente que chez les personnes jeunes. Le plus souvent, on ne peut pas obtenir la guérison mais il convient toujours de soigner le malade. Par exemple, le diabète, les maladies de Parkinson et d’Alzheimer font l’objet de soins tout au long de la vie restante. Ces pathologies nécessitent le « care », mais non le « cure » qui éradique la pathologie. Remarque : le « care » intéresse les proches aidants plus souvent et plus longtemps que le « cure » dont la durée est bien plus limitée.

Quant aux soins palliatifs, leur objectif est de soulager la personne malade et ses proches aidants autant que faire se peut. Leur développement est un phénomène nouveau qui n’est pas encore totalement abouti. Au sens strict du terme, ils concernent toutes les personnes que l’on ne parvient pas à guérir.

Le care et le soin palliatif nécessitent tous deux une interdisciplinarité. Une exigence dont la justification est simple. J’ai vu se multiplier les spécialités médicales et paramédicales au cours de ma carrière. Une personne âgée a désormais couramment consulté un généraliste, un cardiologue, un ophtalmologiste, un ORL et un neurologue. J’ai assisté à une fragmentation du « prendre soin » en spécialités dont l’aspect le plus visible est la professionnalisation à domicile et en établissement. Au point que j’ai dénombré environ trente disciplines au lieu des seuls médecins et infirmières de mon enfance. De nouvelles ressources se sont généralisées tels que la kinésithérapie, la diététique ou le recours aux assistantes sociales. D’autres sont apparues telles que la psychologie, l’ergothérapie, les assistants de soins en gérontologie, les équipes spécialisées Alzheimer, les professeurs d’activités physiques adaptées, les évaluateurs médico-sociaux.

L’avenir : recherche, prévention, professionnalisation, souci des personnels

L’implantation d’un grand centre de recherche pluridisciplinaire sur le vieillissement à Toulouse, incluant des chercheurs en Sciences humaines, est un élément prometteur, en particulier dans le domaine de la compréhension des relations entre aidés et aidants. En 2002, l’INSEE publie une prospective à partir des conclusions de l’enquête HID[13] de la fin des années 1990. Entre 2019 et 2040, le nombre de personnes GIR 1 à 4 devrait augmenter d’environ 22% tandis que celui de leurs proches aidants devrait se réduire d’environ 10%. Il est temps que se réunissent toutes les approches du vieillissement. 

Enfin une inconnue demeure quant à ce que notre société pourra faire dans l’éventuelle amélioration des soins aux personnes âgées, à domicile ou en établissement. L’augmentation des ratios de personnels et leur formation est, avec la prévention, la priorité de l’heure.


[1] EHPAD : Établissement d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes.

[3] Questionnaire aux bénévoles du service : http://geriatrie-albi.com/Repquestbene96.html

[4] 728 000 résidents en établissements d’hébergement pour personnes âgées en 2015. https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/er1015.pdf

[8] Schulz R, Beach SR. Caregiving as a Risk Factor for Mortality: The Caregiver Health Effects Study. JAMA. 1999;282(23):2215–2219. 

[9] Id.

[10] Brown SL, Smith DM, Schulz R, et al. Caregiving behavior is associated with decreased mortality risk. Psychol Sci. 2009;20(4):488–494.

[11] Perkins M, Howard VJ, Wadley VG, et al. Caregiving strain and all-cause mortality: evidence from the REGARDS study. J Gerontol B Psychol Sci Soc Sci. 2013;68(4):504–512.

[12] Dermot O’Reilly, Michael Rosato, Aideen Maguire, David Wright, Caregiving reduces mortality risk for most caregivers: a census-based record linkage study, International Journal of Epidemiology, Volume 44, Issue 6, December 2015, Pages 1959–1969.

[13] Enquête HID : handicaps-incapacités-dépendance http://ifrhandicap.ined.fr/hid/hid_ftp/presentation/CDSHID

Publié dans Alzheimer, aidants, fragilité

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