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Je ne suis pas un pot de yoghourt

Publié le par Bernard Pradines

Vous êtes bien conservée.

- J’dors dans l’formol.

Je ne suis pas un pot de yoghourt
Je ne suis pas un pot de yoghourt

Texte de Louise Latraverse.

Avertissement : à l’ordinaire, un texte de cette qualité, publié ailleurs, est simplement proposé en lien sur notre blog. Ici, cette composition, originaire du Canada francophone, méritait parfois une « traduction ». Je l’ai demandée à Marguerite Mérette, infirmière, auteure québécoise, qui a bien voulu me la fournir. Qu’elle en soit remerciée.

Je n’ai pas de date de péremption imprimée sur le front.

Avez-vous perdu la tête ?

Vous déplorez qu’une personne soit trop vieille pour faire ce qu’elle aime ou entend faire ?

Avez-vous perdu le nord pour vous croire pour toujours jeunes, prémunis contre le temps qui passe ?

Êtes-vous aveugle à ce point ?

Votre tendance à croire que vous êtes meilleurs – meilleurs parce que vous n’avez pas encore de rides - tient de l’ignorance. Feuilletez le dictionnaire, vous y apprendrez du nouveau sur vous. Du nouveau qui vous avait échappé. Oui, à tout âge on peut avoir besoin de lunettes.

Les propos que j’entends au sujet de l’âge - de l’âge honorable, qui traverse les décennies - me stupéfient.

Un jour, j’ai cessé de teindre mes cheveux. J’ai assumé mes cheveux blancs. J’étais la même personne que la veille. Rien n’avait changé, sinon le regard des autres.

Du jour au lendemain, avant de prendre de mes nouvelles, on voulait connaître mon âge.

Ah bon, comme c’est intéressant.

Pourquoi cette question ?

Pour vous rassurer ?

Pour me donner un prix d’endurance ?

Pour me féliciter de vivre ?

– Je n’ai aucun mérite. Je fais comme tout l’monde. Je continue. Tous les jours. Comme je faisais à 4 ans, à 20 ans, à 40 ans et à 76 ans. Jusqu’à la fin.

Oui, parce qu’il y en aura une.

Comment vous faites pour être belle de même, à votre âge ? Vous êtes bien conservée.

– J’dors dans l’formol.

Travaillez-vous encore ?

– Non, j’me pogne le beigne[1], taouin[2]. Du matin au soir et du soir au matin.

Vous êtes encore souple ?

– Oui, chus faite en rubber[3]. Mes parents m’ont achetée chez Canadian Tire[4].

Conduisez-vous toujours ?

– Non, mon ch’fal[5] m’attend dans l’garage.

On vous voit plus ?

– Ben, chus là. Voulez-vous une loupe ?

Êtes-vous à la retraite ?

– Non, chus à la pige. La piges-tu ?

Qu’est-ce vous faites pour être si en forme ?

– La même chose que je fais depuis toujours.

Je marche. Sans marchette[6]. Ben oui ! Chose !

Un mélange de choses que j’ai apprises au cours de ma vie et que vous apprendrez à votre tour si vous êtes moins fendant[7]. Si vous êtes curieux. Si vous écoutez. Si vous regardez autre chose que votre nombril.

Je pourrais continuer. Je ne donne pas la moindre entrevue sans qu’on me parle de mon âge.

Juste au cas où vous ne le sauriez pas, je m’intéresse à l’art sous toutes ses formes, à la politique locale et internationale, à la science et ses découvertes, à la cuisine du monde et aux habitants de notre planète nonobstant leur âge, leur couleur et leur race.

Paraphrasant Arletty, j’ose dire : « Mon cœur est international ! » Google vous renseignera sur cette très vieille actrice française. Toujours si moderne.

J’oubliais de vous dire que je mange trois repas par jour. Que je ne mange pas encore mou et lorsque ça viendra, j’aurai une pensée pour le jour où ça vous arrivera.

Je ne pensais pas écrire sur l’âgisme si tôt. Janette m’avait avertie. Janette avait raison.

J’ai des p’tites nouvelles pour vous autres. Accrochez-vous, le meilleur est à venir.

Ma vie n’a jamais été aussi belle. Je suis une femme libre, fière, indépendante. Riche de ma vie. Riche de mes voyages. Riche de mes rencontres, de mes passions, de mes amitiés, de mes amours, de mes angoisses, de mes peines. Riche de nos folies, de nos rires, de nos fêtes. Riche de ma famille et de mon merveilleux fils. Riche de mes épreuves, de mes erreurs, de nos différends. Riche de nos chicanes et de nos réconciliations. Riche de mes échecs et de mes succès. Riche de mes lectures. Riche de mon métier. Riche de mon pays. Riche de ma liberté. Une quête qui ne m’a jamais quittée. Que l’argent ne peut acheter.

Quand j’étais enfant, j’aimais les belles dames aux cheveux blancs. Je voulais toujours me coller sur elles. Elles me rassuraient, me berçaient, me consolaient.

Si vous avez le cœur grand et l’esprit ouvert, vous pouvez vous coller sur moi, je vous accueillerai. Ça sert aussi à ça, vieillir.

À aimer.


[1] « J’m pogne le beigne » : je m’en fous

[2] taouin : toi

[3] rubber : caoutchouc

[4] Canadian Tire : Pneu Canadien

[5] ch’fal : cheval

[6] Marchette : déambulateur

[7] Fendant : arrogant

Source :

Publié dans gériatrie, respect, dignité

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J’ai visité le premier village Alzheimer au monde

Publié le par Bernard Pradines

J’ai visité le premier village Alzheimer au monde

Pourquoi un village ? Pourquoi pas une résidence traditionnelle telle qu’un EHPAD ?

Pourquoi ne pas répartir ces personnes âgées de plus de 65 ans, désorientées, souffrant de troubles cognitifs sévères, dans des unités situées dans des villages existants comme à Saint-Nazaire ?

Pourquoi ce premier village ? Il fut inauguré en 2009 près d’Amsterdam aux Pays-Bas. D’autres sont en cours de réalisation, tel que celui qui est en projet à Dax en France.

Ceux qui ont conçu et réalisé « De Hogeweyk » ont donné de l’espace en plein air aux 152 résidents. Ils ont voulu procurer liberté et voisinage comme dans une vraie localité. La seule issue extérieure est surveillée visuellement à l’aide d’un sas. Mais les portes des parties communes s’ouvrent automatiquement lors de toute approche, y compris celle de l’ascenseur qui navigue automatiquement entre les deux niveaux.

Les résidents sont répartis et regroupés en affinités en fonction d’études issues des sciences humaines selon leur « style de vie » antérieur et leur choix éventuel.

Résidents, familles, professionnels et bénévoles bénéficient d’un environnement conçu au plus près de l’image de la vie du pays : places et rues portent un nom habituel, on y trouve entre autres un supermarché, un bar-restaurant, un salon de coiffure et de beauté, un salon de musique, une médiathèque et même un théâtre.

Le rassemblement en un vaste lieu unique autorise ces facilités autrement inconcevables si les unités de 6 ou 7 résidents de « De Hogeweyk » étaient dispersées dans des sites distincts et distants.

L’ameublement et la décoration se rapprochent au maximum de l’habitat normal des occupants. Tout est étudié pour ressembler à la vie quotidienne jusque dans les moindres détails. Quant à eux, les intervenants, quelles que soient leurs professions, sont spécialement informés des pathologies accompagnées.

Bien sûr, il y a toujours un revers à la médaille ; par exemple, une telle expérience pilote coûte cher à la collectivité néerlandaise et n’est assurément pas exportable à l’identique. Pourtant, je suis reparti troublé par ma visite du 17 août 2016.

Il n’existe aucune solution idéale, chacun le sait. Toutefois, le principe du village hollandais devenu réalité serait-il la moins mauvaise proposition pour des personnes dont le séjour à domicile n’est plus possible ?

Est-il possible d’ignorer « De Hogeweyk » ?

Pour en savoir plus :

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