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Déni de la mort : fondement de la détresse des personnes âgées ?

Publié le par Bernard Pradines

Evora. Image issue du site : https://myportugalholiday.com/fr-evora/capela-dos-ossos-chapelle-os-evora-fr.html

Evora. Image issue du site : https://myportugalholiday.com/fr-evora/capela-dos-ossos-chapelle-os-evora-fr.html

Cet article est paru le mercredi 2 septembre 2020 sur le site AgeVillagePro :

Extrait :

C’est la réalité de la mort et non son déni, son aspect collectif massif comme lors de la canicule de 2003, la culpabilité née de l’abandon symbolique ou réel des personnes âgées qui sont d’abord en cause. Comme l’écrit le philosophe Pierre-Henri Tavoillot dans son apologie des EHPAD sous le titre « contre l’EHPAD bashing »[1], « l’âge déprime, le grand âge fait peur, la dépendance terrorise. Face à cette angoisse, la société d’individus qui est la nôtre, a fait un choix : celui de ne pas laisser son poids à la famille, mais à des établissements, les EHPAD, et à des professionnels spécialisés. Cette délégation d’angoisse a néanmoins un coût : un fort sentiment de culpabilité. »[2] Sauf que si la société a fait un tel choix, ce n’est pas celui des résidents ni même celui des familles qui optent pour cette solution à défaut et à regret. 

Texte complet :

Le débat continue autour de la condition faite aux personnes âgées vulnérables par ces temps de pandémie, en particulier en établissement.

Pour les uns, la Covid-19 porterait à son paroxysme le déni de mort. Une « folie hygiéniste » ou une technicisation à outrance de la médecine seraient les conséquences de cet aveuglement face à notre destinée individuelle inévitable. Une sorte de fuite en avant mortifère qui aboutit au constat actuel : empêcher nos anciens de vivre sous prétexte de les empêcher de mourir. Ainsi, le sentiment exacerbé de déni de la mort serait responsable de la souffrance liée à l’isolement imposé lors de la crise sanitaire actuelle.

Pour moi, ce n’est pas le déni de la mort qui est le principal responsable des conditions inhumaines actuelles, contemporaines de la crise sanitaire ; oui, celle-ci a mis à mal le respect des droits des personnes en fin de vie. Oui, cette situation contredit les déclarations écrites et verbales répétées ici ou là.

La peur des procès futurs et l’altération de leur image poussent les établissements à renforcer des mesures de sécurité vécues comme isolantes, liberticides, dépossédant les familles et les résidents de leur possibilité relationnelle résiduelle souvent unique : la visite des leurs.

La liberté d’aller et de venir est compromise voire annihilée par les contraintes liées à la distanciation sociale et à l’encadrement, voire à l’interdiction des visites. Ces dernières sont pourtant la principale attente des résident·e·s lorsque nous les avons interrogé·e·s sur leurs désirs[3].

Ce faisant, on a empêché certains résidents de vivre en bloquant ou limitant la visite de leur famille. La présentation des établissements pour personnes âgées comme étant leur domicile personnel est devenue une fiction à la première alerte épidémique sévère; on a voulu leur éviter de mourir pour enrayer un désastre humain mais aussi financier. Une éthique de vernis a volé en éclat au premier soubresaut de peur collective.

C’est la réalité de la mort et non son déni, son aspect collectif massif comme lors de la canicule de 2003, la culpabilité née de l’abandon symbolique ou réel des personnes âgées qui sont d’abord en cause. Comme l’écrit le philosophe Pierre-Henri Tavoillot dans son apologie des EHPAD sous le titre « contre l’EHPAD bashing »[4], « l’âge déprime, le grand âge fait peur, la dépendance terrorise. Face à cette angoisse, la société d’individus qui est la nôtre, a fait un choix : celui de ne pas laisser son poids à la famille, mais à des établissements, les EHPAD, et à des professionnels spécialisés. Cette délégation d’angoisse a néanmoins un coût : un fort sentiment de culpabilité. »[5] Sauf que si la société a fait un tel choix, ce n’est pas celui des résidents ni même celui des familles qui optent pour cette solution à défaut et à regret.

C’est davantage la peur de la mort ou plutôt du nombre de morts que son déni qui a motivé le confinement collectif des résidents et l’interdiction puis l’encadrement strict des visites qui leur sont rendues.

Quant au pouvoir médical, il a montré ses limites de manière éclatante, à la fois par sa fréquente impuissance concrète à sauver des vies et à prévenir les séquelles de la maladie. Pire, il s’est en partie déprécié aux yeux du public en étalant certains débats médiatisés considérés comme ridicules. C’est davantage le dévouement médical qui a été salué. Or, cette reconnaissance intéresse à juste titre de nombreuses professions parmi les non-médecins dont les infirmières, les aides-soignantes et les auxiliaires de vie pour ne citer qu’elles.

Ainsi, le déni de la mort n’est qu’un aspect de la problématique ; il ne peut pas la résumer. Les personnes âgées, autrefois généralement hébergées par leurs descendants, sont à présent de plus en plus amenées volens nolens dans des grands établissements dont elles ne veulent pas, au moins avant d’y entrer. Une sorte de collectivisation forcée est à l’œuvre. C’est vrai que certaines personnes y tissent à nouveau des relations sociales qui leur permettent de s’y trouver bien faute de pouvoir rester à domicile où elles sont souvent seules[6]. Mais il s’agit d’une minorité.

Cette situation est le résultat d’une profonde mutation de la structure de la famille ainsi que de la société dans son ensemble. Des facteurs sociaux majeurs tels que la généralisation du travail salarié et sa précarisation, les distances accrues entre les membres de la famille, l’instabilité des familles nucléaires, l’accroissement de la monoparentalité, la taille des logements, auront eu raison des pieux engagements à « garder maman à la maison ».

Faisant de nécessité vertu, tel le renard de la fable[7], nous avons constaté, voire décrété, que les temps ont changé, qu’il n’est plus possible de garder ses proches âgés sous notre toit. Nous les avons confiés à des entreprises plus ou moins lucratives sans être trop regardants.  Certaines se livrent à une concurrence féroce, s’internationalisant et se diversifiant pour accroitre leur part de marché et les dividendes versés à leurs actionnaires. Peu me choit pourvu que l’on me soulage du « fardeau » trop lourd de m’occuper de mon ancien.

Dès 1987, avec l'arrivée des soins palliatifs en France, a commencé un long combat pour accompagner les malades et leurs familles de la meilleure manière. C’est une tentative pour « humaniser la mort ». En cela elle s’oppose à l'illusion du progrès infini, à la promotion de l'effectivité, de la rentabilité, du succès. En un mot, elle se heurte  aux supports idéologiques  du productivisme sous sa forme actuelle : le néolibéralisme.


Ne retenir que le déni de la mort comme cause profonde de la condition contemporaine des personnes vulnérables, ce serait a contrario retourner à Evora[8], au memento mori[9] qui nous a poursuivis au cours des âges à défaut de nous consoler de notre condition de mortels. C’est limiter le débat à un seul aspect de la situation actuelle.

 

 

[6] C’est le cas d’une majorité de femmes entre les âges de 79 et de 93 ans d’après le recensement de 2005

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Sommes-nous égaux face à la douleur de nos semblables ?

Publié le par Bernard Pradines

Images extraites de la publications : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6870998/ (Han et al, 2020)
Images extraites de la publications : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6870998/ (Han et al, 2020)

Images extraites de la publications : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6870998/ (Han et al, 2020)

L’étude de l’empathie à la douleur passe désormais par l’imagerie cérébrale de ceux à qui on présente l’image d’une personne souffrante. Pour les soignants, ces résultats doivent encourager à l’écoute et à l’interdisciplinarité lors la détection et de l’évaluation de la douleur.

C'est ce que nous suggère déjà l'étude d’Osborn publiée en 2009 (Osborn et al, 2009). Des images ou de courts clips montrant des situations douloureuses sont présentés à des sujets non douloureux. Approximativement un tiers d'entre eux font état d'une authentique expérience douloureuse lors du visionnement de ces scènes. Parmi les « répondeurs », dix d'entre eux sont comparés à dix « non-répondeurs » dans une étude avec IRM encéphalique. On présente alors à tous les sujets des images fixes de situations douloureuses. Les répondeurs activent des aires cérébrales en relation avec les sensations et les émotions éprouvées lors d'une expérience douloureuse. Ceci contraste avec les non-répondeurs qui activent très peu ces zones.

Cette étude est fort instructive quant aux disparités observées lors de l'hétéroévaluation de la douleur chez la personne âgée non verbalisante. 

La subjectivité de l'observateur est un élément majeur de l'appréciation clinique. Ces constats demandent encore à être précisés. Mais il est troublant de constater que des marqueurs d’imagerie encéphalique d’empathie à la douleur peuvent être différents selon un critère aussi trivial que l’attractivité du visage (Kopis et al, 2020). Tremblay retrouve aussi des variations interindividuelles face à des représentations faciales de douleur (Tremblay et al, 2020). Autre exemple, une relation entre empathie à la douleur d’autrui et le fait d’être un consommateur excessif d’alcool a été mise en évidence par Rae (Rae et al, 2020). L’épilepsie essentielle pourrait aussi jouer un rôle (Jiang et al, 2020) négatif sur l’empathie à la douleur.

Ainsi, les résultats de diverses études récentes sont troublants et pourraient nous aider, encore timidement, à comprendre pourquoi nous n’avons pas tous la même aptitude à ressentir la douleur d’autrui. Ceci aura des conséquences philosophiques, anthropologiques  et psychologiques considérables. Pour les soignants, c’est la modestie individuelle qui est au rendez-vous du travail en équipe et de l’écoute des autres témoins de la personne douloureuse.

Références :

  • Osborn J, Derbyshire SW. Pain sensation evoked by observing injury in others. Pain. 2010;148(2):268-274. doi:10.1016/j.pain.2009.11.007
  • Kopiś N, Francuz P, Zabielska-Mendyk E, Augustynowicz P. Feeling Other People's Pain: An Event-Related Potential Study on Facial Attractiveness and Emotional Empathy. Adv Cogn Psychol. 2020;16(2):169-175. Published 2020 May 29. doi:10.5709/acp-0294-8
  • Tremblay MB, Marcoux A, Turcotte V, et al. I Can But I Shall Not Always Be Empathic [published online ahead of print, 2020 Aug 5]. Psychol Rep. 2020;33294120945180. doi:10.1177/0033294120945180
  • Rae CL, Gierski F, Smith KW, et al. Differential brain responses for perception of pain during empathic response in binge drinkers compared to non-binge drinkers. Neuroimage Clin. 2020;27:102322. doi:10.1016/j.nicl.2020.102322
  • Jiang Y, Zhu M, Yu F, Wang K. Impaired empathy in patients with idiopathic generalized epilepsy: An event-related potentials study [published online ahead of print, 2020 Jul 18]. Epilepsy Behav. 2020;111:107274. doi:10.1016/j.yebeh.2020.107274
  • Images :  Han S, Fan Y, Xu X, et al. Empathic neural responses to others' pain are modulated by emotional contexts. Hum Brain Mapp. 2009;30(10):3227-3237. doi:10.1002/hbm.20742

 

 

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