EHPAD : quand le système dysfonctionne

Publié le par C.R.

Auteure : C.R., infirmière D.E. 1982, Ecole d’Infirmières du Centre Hospitalier de Toulouse Rangueil

 

Comment écarter une employée devenue gênante pour le « système » managérial ?

 

La palette de moyens dont dispose un EHPAD ou toute autre structure institutionnelle est vaste :

  • détérioration des relations interpersonnelles en accentuant les conflits latents ou patents,
  • critiques ou remarques incessantes, bien différenciées car visant la personne ciblée,
  • humiliations diverses, telles que la suppression du nom de l’employée dans divers documents ou des comptes rendus de réunions officielles, ou tout simplement son exclusion des rencontres relatives à sa fonction.
  • entraves aux fonctions jusqu’à une mise en échec, préalablement programmée par augmentation inconsidérée des tâches attendues, ajout de travail, voire des missions impossibles à réaliser car sortant du champ des compétences de l’employée,
  • privation d’informations et même d’outils de travail,
  • surtout isolement de la salariée.

La liste ci-dessus pourrait être fastidieuse pour le lecteur, car encore plus longue.

La « fatigue de compassion » ne doit pas être oubliée. Au contact de la douleur, de la souffrance et de la fin de la vie, la fameuse « bonne distance » n’est pas toujours aisée à maintenir : les employées des EHPAD en sont trop fréquemment atteintes par leur sympathie envers les malades. Il ne reste plus aux directions qu’à pointer une « incompétence émotionnelle » !

Les faiblesses psychologiques de l’employée seront identifiées et exploitées. L’attitude managériale, aisément qualifiable de perverse, ira enfin jusqu’à reprocher à l’employée de n’avoir pas su demander de l’aide à ses supérieurs.

Autant de pratiques reposant sur des jugements qui affectent durablement une employée jusqu’à la contraindre à délaisser son poste. Elle n’a plus qu’à s’extraire d’elle-même de l’institution.

Ces mécanismes ne sont pas d’emblée explicites. Ils peuvent s’installer de manière très insidieuse dans une institution.

 

En voici un exemple tragique. Il fut destructeur de la personnalité d’une salariée.

Une soignante se voit reprocher de ne pas aller prendre le café durant les pauses du personnel. Un peu plus tard, c’est sa coiffure qui ne convient plus. Puis sa photo et son nom sont raturés et gribouillés sur une liste de participants à une réunion. La direction estime cela comique et considère ouvertement que l’employée n’a pas le sens de l’humour.

Simultanément, elle se retrouve isolée. Sur le plan fonctionnel, elle est écartée de son groupe de travail. Sur le plan géographique, son bureau est attribué au nouveau médecin, sans solution satisfaisante de réaménagement.

Puis elle doit assumer des tâches ne relevant ni de sa formation, ni de ses fonctions. Devant son refus, la direction conclut à son incompétence et à son « inadaptabilité ».

Peu après, elle se voit retirer l’accès à l’ordinateur, seul moyen d’obtenir des informations essentielles à son travail.

Ayant décidément réponse à tout, la direction argue qu’il s’agit d’une mesure prise par le siège du groupe d’EHPAD, donc indépendante de ses prérogatives !

Enfin, une réunion est organisée pour entériner l’impossibilité de prolonger ses fonctions. L’ordre du jour de la séance, pour être davantage humiliant, ne fait pas l’objet de l’habituelle annonce préalable. Ceci afin de garantir l’effet de surprise le plus désagréable possible. Sont rassemblés cadres et non cadres : une femme seule face à une équipe au grand complet. Comme devant un tribunal, divers aspects de la vie personnelle de l’employée sont énoncés devant tous.

 

En apparence bienveillante, la direction prétend aider l’employée à « reprendre pied » dans ses fonctions. Magnanime, elle souhaite ainsi ménager ses « fragilités émotionnelles », bien sûr unanimement attestées  par toute l’équipe présente !

Ce simple exemple illustre le piège qui se referme.

L’inattendu peut être mal géré par une soignante débordée. La faute à qui ? Vous avez deviné.

L’institution peut développer des penchants pervers en accusant ses salariées de n’avoir pas su faire face à la situation. Pourtant, l’établissement n’a simplement pas pris la peine de développer les mesures préventives avant que l’événement survienne.

 

Pourquoi une direction écarterait-elle une employée qui ne se soumet pas ?

A savoir : les directions peuvent voir leur prime de fin d’année approcher le triple de leur salaire annuel. De tels avantages ne risquent-ils pas de « pousser au crime » ?

Voilà qui suffit à inciter des directions aux pires comportements pervers dans leur établissement. Qui sera épargné dans les prochaines années si le système actuel perdure ? Les directions elles-mêmes en font les frais.

 

Comment empêcher de telles dérives systémiques dans des institutions telles que les EHPAD ?

  • d’abord par le développement du travail en pluridisciplinarité et le dialogue interdisciplinaire qui l’accompagne,
  • par le développement de l’interdisciplinarité qui ramène chacun à la modestie sur ses compétences et lui permet de reconnaître qu’il n’a pas grande valeur sans les autres intervenants,
  • par un mode participatif aux décisions de la structure,
  • par le partage d’informations entre collègues de travail,
  • par une politique institutionnelle menée avec un esprit de solidarité.

 Ne pourrions-nous pas encourager tous les professionnels de santé à aller vers ces modalités progressistes de travail ?

Les rendre conscients de ces nouvelles méthodes de travail serait leur meilleure protection face à de futurs mauvais traitements.

 

Le Gouvernement a proposé un « Document Unique » de prévention des risques dits « psycho-sociaux » (R.P.S.). Certes. Mais sans une volonté politique infaillible, peut-on croire un seul instant que l’usage de ce énième document pourra résoudre l’attitude de perversion au sein de telles institutions ? Idem pour l’introduction de psychologues sociaux. Sans parler de la mise à l’écart des directions et de leur licenciement fréquent par les groupes porteurs des EHPAD.

Cf. lien pour plus d’informations sur ce thème :

En conclusion, la lutte contre le silence est fondamentale : poursuivons la dénonciation implacable des pressions de soumission exercées par ces groupes sur leurs personnels, y compris sur leurs directions *  de terrain.

 

* La « direction » d’un EHPAD, simple salariée, est à différencier de la direction du groupe porteur de nombreux EHPAD. C’est en fait cette seconde direction qui détient l’intégralité des décisions, et donc du pouvoir.

Publié dans EHPAD, aidants, respect, dignité

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G
Bonjour,<br /> Je viens mettre mon grain de sel juste pour rajouter que cette attitude harcelante est possible. Les structures sont facilement comparées à une structure familiale "Les filles" expression qui désigne souvent des soignantes... Comme toutes les familles, certains patriarches ou certaines matriarches (Ca va de l'encadrement à la direction) confondent la notion d'autorité avec celle de l'autoritarisme. Quand un tel système se met en place, l'individu n'a plus qu'à filer "tout doux" en espérant ainsi éviter les occasions de devenir la cible. Vous me direz que cela est une pratique d'un autre temps... C'est confortable de le penser pour mieux fermer les yeux et vivre lâchement en paix!<br /> 54 ans, 30 ans de métier d'infirmier et j'ai vécu cela 3 fois : une fois enfant sauvé par la DDASS que je ne remercierai jamais assez et deux fois pendant ma carrière : une fois par un cadre et une fois par une direction. Le jeu du triangle de Karpman (Persécuteur-Victime-Sauveur) est une triangulation courante dans la vie de tous les jours. Les enfants jouent beaucoup à ce type de jeux de rôles interchangeables : "Tu es le méchant, toi tu es prisonnier et je viens te délivrer"... Sauf qu'il arrive que certaines personnes se bloquent dans un rôle, et là le jeux devient invivable pour la victime. Une de mes cadres, savoyarde, ne supportait plus de me voir échanger avec des bretonnes à longueur d'année. Petit à petit, inconsciemment pour chacun, le jeu s'est transformer en harcèlement. Six années, j'ai supporté le fait de ne rien pouvoir demander sans obtenir un refus. Le respect de l'autorité m'a fait tenir jusqu'à la goutte d'eau. Sur une remarque banale pour elle, je me suis emporté lui renvoyant à la figure toute cette souffrance depuis six ans. Elle a conclu cet épisode en me faisant remarquer qu'elle devait avoir une main de fer dans un gant de velour...! De cette altercation est née une relation plus normale sans avoir besoin de demander aux collègues de me coller en repos pour leur rendre service à eux (De très bons collègues). Dans mes trois épisodes, la seule solution a été la parole publique :<br /> - Enfant, c'est ma plainte au commissariat qui a débouché sur un placement DDASS<br /> - Professionnel, c'est encore la parole publique qui a permis de mettre à jour le dysfonctionnement et de le faire cesser. La parole de la victime la sort de son rôle de victime brisant ainsi l'intérêt du jeu en supprimant le triangle : Plus de victime, pas de sauveur, ni de bourreau! Rien ne sert de rentrer dans une démarche de plainte, car on rentre forcément dans une nouvelle triangulation ou le bourreau devient victime à son tour.<br /> D'ailleurs, une des spécialité du soignant n'est-elle pas devenir un sauveur...<br /> Je suis devenu infirmier pour cela avant de découvrir la réalité du métier ou l'on se trouve régulièrement dans ce jeux de rôle sans pour autant réussir à sauver les gens de leur problème de santé. Quand ce métier s'adresse à des pathologies au long court, on s'aperçoit vite de l'impossibilité de sauver : Quelle frustration pour un "sauveur né" ? Bonne prise de conscience (Les jeunes dirait "Prise de tête")
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P
Merci Georges pour ce témoignage personnel. Difficile d'imaginer une personne dynamique qui ne subirait aucun conflit dans sa carrière. Au moins dans un univers si lourd, parfois si figé.