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Médecine et Covid-19 : que s’est-il passé ?

Publié le par Bernard Pradines

Médecine et Covid-19 : que s’est-il passé ?

Par ces temps de crise sanitaire, bien des citoyens sont légitimement désorientés. Habitués au confort des certitudes scientifiques et médicales, ils regardent avec perplexité des chercheurs émettre des hypothèses sans certitude : nouvelle vague épidémique ou fin de nos tracas, traitement repositionné ou non, vaccin possible rapidement ou tardivement ? Pis, d’autres se déchirent publiquement à propos de l’efficacité et de la dangerosité de telle ou telle thérapeutique.

Que s’est-il passé ?

Au début de ma carrière, les cours à la faculté de médecine nous étaient enseignés par des professeurs qui étaient censés connaitre la vérité scientifique. Ils délivraient un message auquel il convenait de se référer. « Mon maitre X dit que » ou « mon maître Y disait que » faisaient partie de nos arguments définitifs. Nous nous informions mutuellement de nos succès et échecs pour en tirer parti au profit de nos patients. Quelques congrès et revues nous permettaient de connaitre les réussites, presque jamais les revers de nos confrères.

Puis vint progressivement le temps de l’ « evidence based medicine ». Traduisez : « la médecine fondée sur la preuve ». Ici, point de mandarin omniscient détenant la bonne démarche diagnostique ou la meilleure conduite à tenir devant telle ou telle pathologie. Il s’agissait désormais de résultats d’études conduites avec une méthodologie progressivement plus exigeante, plus rigoureuse. Le sésame de la parole écoutée fut davantage dans cette dimension : « d’après une étude multicentrique menée aux USA, on peut penser que ».

Ce phénomène fut accéléré par des scandales thérapeutiques tels que celui du sang contaminé, de l’hormone de croissance ou encore du Médiator. Certaines de nos médications furent déclarées inutiles et je ne les ai jamais vues réapparaître. Nous apprîmes à différencier une étude observationnelle d’une étude interventionnelle. Nous prîmes conscience de la nécessité d’une rigueur indispensable à une interprétation statistique de qualité, apte à tirer des conclusions utiles en pratique quotidienne. Nous devinrent familiers de termes tels que la randomisation, le double aveugle, le cross-over. Ainsi nous guettions la méthodologie des études cliniques pour apprécier leur « robustesse » et les « valider ».

Des sociétés savantes virent le jour et émirent des recommandations selon les grandes familles de pathologies. Toujours « fondées sur la preuve ».

Le phénomène fut accru par la naissance et le développement d’agences chargées d’émettre des « recommandations de bonne pratique ». Exemples actuels français : la Haute Autorité en Santé (HAS) et l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).

La lecture de l’anglais écrit par les médecins, bien loin d’être unanime, s’est suffisamment répandue pour autoriser un accès à des banques internationales de données telles que Medline. Phénomène bien sûr rendu possible par le développement d’Internet permettant à tout un chacun un accès autrefois réservé aux bibliothèques universitaires. La multiplication des revues et congrès scientifiques nous amena plus souvent à publier nos observations, résultats ou éditoriaux. Cet exercice nous permit de nous approcher de la difficulté d’une démarche préalable de qualité avant de tirer des conclusions bénéfiques pour nos patients.

Survient la Covid-19. D’un seul coup d’un seul se réveillent des vieux réflexes sous la pression de patients qui attendent un médicament susceptible de prévenir cette pathologie, de les sauver ou pour le moins d’atténuer leur souffrance. Les médecins sont brutalement renvoyés au bon vieux temps en l’absence « d’étude clinique bien conduite » qui nécessite presque toujours plusieurs années. Retour aux médicaments au doigt mouillé. La liberté de prescription redevient une exigence pour calmer l’angoisse sociétale. Des patients guéris, parfois célèbres, viennent témoigner de l’efficacité du traitement qui leur a été prescrit. Et de demander que d’autres en bénéficient dans un grand élan d’altruisme. C’est donc à une formidable régression à laquelle on assiste. Un retour en arrière historique et culturel.

En conclusion, la médecine, comme toute science, a besoin de temps pour fournir les bases solides d’un traitement, quel qu’il soit. Elle ne doit pas se tromper dans la « balance bénéfice-risque ». « Primum non nocere » fait-on dire à notre illustre prédécesseur. Que l’on s’interroge sur la frugalité habituelle des dépenses de recherche est légitime. Que l’on souhaite des publications rapides de résultats s’ils deviennent significatifs est bien normal. Mais réclamer un franchissement des nécessaires étapes de la recherche aboutirait à se plaindre encore davantage de trop de hâte ayant mis en danger la santé d’autrui et… de soi-même.

 

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Tri : de la théorie à la pratique

Publié le par Bernard Pradines

Tri : de la théorie à la pratique

par Bernard Pradines, ancien anesthésiste-réanimateur, ancien gériatre, diplômé de médecine de catastrophe (Créteil - Henri Mondor)

De nombreuses publications font état d’un tri des patients âgés à l’entrée en réanimation en cette période de covid-19.

De multiples notions sont brassées par des personnes compétentes, d’autres moins.

Cette compétence n’est pas innée. Elle repose sur la connaissance de la loi, en particulier la dernière en date, celle dite Claeys-Léonetti du 2 février 2016, ses deux décrets du 2 août 2016 (1 et 2) et l’arrêté de la même date. 

Surtout, elle fait appel à l’expérience concrète de ces situations en temps ordinaire et aux nombreux témoignages de professionnels par ces temps actuels de crise.

Pour faire au plus court :

Refuser une personne âgée en réanimation en temps ordinaire relève en principe du refus de l’acharnement thérapeutique autrement qualifié d’obstination déraisonnable. A noter toutefois qu’un refus suppose une proposition. Autrement dit, c’est un médecin qui contacte un médecin pour lui proposer un patient dont il pense qu’il relève de la réanimation. C’est un médecin de réanimation qui répond au médecin demandeur que le patient ne relève pas de la réanimation en lui fournissant plus ou moins d’arguments.

Refuser une personne âgée en temps de crise sanitaire peut relever de la démarche décrite ci-dessus ou bien d’un tri classique en temps de catastrophe. Nous avons déjà développé cet aspect dans ce blog (3456) . De nombreux témoignages de terrain, incontestables, désormais rapidement accessibles grâce aux moyens modernes de communication, corroborent un constat de refus fondé sur l’absence de possibilité logistique.

Les classiques démarches légales évoquées doivent être relativisées : les procédures collégiales sont difficiles à mettre en œuvre voire impossibles dans un contexte d’urgence et d’afflux massif de victimes. Les directives anticipées sont encore peu nombreuses dans notre pays. Le plus souvent, elles ne sont pas assez précises pour répondre aux situations concrètes exigeant une attitude immédiate. La personne de confiance, un peu moins boudée, a pu être consultée. Seul un bilan qui reste à effectuer nous indiquera l’ampleur des phénomènes décrits ci-dessus.

Bien sûr, les grands mots sont au rendez-vous : l’euthanasie refait son apparition, confondue avec le refus de soin vital et surtout avec la sédation utilisée en soins palliatifs.

De nombreux procès auront lieu. Il faudra beaucoup de temps pour évaluer ce que les professionnels qualifient de pertes de chance en France et ailleurs. Il est normal en démocratie que le débat puisse s’instaurer dès maintenant autour de certains manquements graves à l’obligation de soins.

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