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fin de vie

Le chagrin tenace est reconnu comme une pathologie aux Etats-Unis

Publié le par Louis Lacaze

Le chagrin tenace est reconnu comme une pathologie aux Etats-Unis

Après plus de dix ans de réflexion, les psychiatres américains ont reconnu officiellement que les symptômes d’un chagrin tenace (prolonged grief) étaient distincts de ceux d’une dépression, pouvaient avoir des effets secondaires graves, et devaient faire l’objet d’un traitement médical. Les conséquences pratiques ont leur importance : les soins peuvent dorénavant être pris en charge financièrement par les organismes payeurs du pays.

La société a longtemps considéré que la souffrance d’un deuil prolongé était naturelle, illustrée par les veuves habillées de noir à vie, par les parents ayant perdu un enfant à qui, en guise de consolation, on peut déclarer qu’on ne se relève jamais de la mort d’un enfant.

Les chercheurs estiment que si la souffrance atteint un pic au bout de 6 mois avant de décroître, 4% des sujets ne connaissent pas cette évolution. Toutefois ils ont préféré retenir un délai de 1 an, les personnes touchées estimant que leur chagrin est toujours aussi vif 6 mois après la perte d’un être cher.

Le Dr Katherine Shear, professeur de psychiatrie, après avoir noté que les personnes concernées présentaient des symptômes plus proches du stress post-traumatique que de la dépression a élaboré à partir de cette constatation un programme de psychothérapie de 16 semaines qui conduit à des résultats positifs, supérieurs à ceux des traitements faisant appel aux antidépresseurs et autres thérapies antidépressives. Des surprises sont toujours possibles en ce domaine : un patient souffrant depuis des années peut subitement réagir de façon imprévisible, tirer un trait sur le passé et connaitre une nouvelle existence.

Commentaires de Bernard Pradines. Intéressante publication qui pose une fois de plus le problème de la définition des symptômes et des syndromes. Où se situent les frontières entre le deuil, le chagrin et la dépression ? Quand doit-on proposer un traitement médical médicamenteux en urgence ou en cas d’échec d’une psychothérapie de première intention ? Des débats qui sont parfois tranchés un peu vite, de manière péremptoire dans un ferme reproche à la médicalisation excessive. A l’inverse, la pression des compagnies pharmaceutiques est forte pour faire reconnaitre la nécessité de médicaments « pris en charge financièrement par les organismes payeurs du pays ». De plus, au-delà des critères établis par des groupes d’experts, l’analyse clinique au cas par cas, l’évaluation du risque des conséquences fâcheuses au premier rang desquelles le suicide, la qualité de la relation entre le médecin et la personne soignée, l’observance du patient, sont autant d’éléments qui sont à prendre en compte dans l’attitude thérapeutique proposée. Sans compter le rôle indispensable du médecin généraliste dans le dépistage du deuil pathologique et l’accompagnement de la souffrance des endeuillés.

Sources :

Ellen Barry The New-York Times How Long Should It Take to Grieve? Psychiatry Has Come Up With an Answer

After more than a decade of argument, psychiatry’s most powerful body in the United States added a new disorder this week to its diagnostic manual: prolonged grief. The decision marks an end to a long debate within the field of mental health

Pour aller plus loin

  1. Maciejewski PhD et al. JAMA An Empirical Examination of the Stage Theory of Grief

Context The stage theory of grief remains a widely accepted model of bereavement adjustment still taught in medical schools, espoused by physicians, and applied in diverse contexts. Nevertheless, the stage theory of grief has previously not been tested empirically.

Objective To examine the relative magnitudes and patterns of change over time post loss of 5 grief indicators for consistency with the stage theory of grief.

Et un texte du JIM nuançant fortement la publication de JAMA DSM : chronique d’une guerre prolongée

« On ne guérit d’une souffrance qu’à condition de l’éprouver pleinement » écrit Marcel Proust dans Albertine disparue. Voilà donc une manière bien française de faire que de considérer que les leçons de la littérature valent mieux que toutes les analyses cliniques et biologiques

 

 

 

 

 

 

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Fin de la vie : aller plus loin ?

Publié le par Bernard Pradines

En blanc et en rouge : une équipe de soins palliatifs à Osnabrück (Allemagne).

En blanc et en rouge : une équipe de soins palliatifs à Osnabrück (Allemagne).

A propos de la législation concernant la fin de la vie, j’entends souvent dire qu’il faut aller plus loin que la loi actuelle[1]. Ce message est toujours complété par une ode à la liberté personnelle prônant et affirmant le pouvoir exclusif, idéalisé, de l’individu sur son être. Mon corps est à moi, ce que je veux je le peux. Un voile rassurant jeté sur les déterminismes collectifs, sociaux, culturels, historiques dont l’individu est constitué. Une doxa commune aux idéologies volontaristes et individualistes qui ont fondé le néolibéralisme.

Les mots fleurissent, ceux qui réifient autrui pour le rejeter, lui et sa condition redoutée. Parvenu à la fin de ma carrière médicale, je suis à jeun d’avoir rencontré un humain vulnérable qui soit une épave, un débris, un croûton, une plante verte, un pot de fleurs ou un légume. Ainsi, le langage de chosification, par ses métaphores, vient au secours de la difficulté d’énoncer l’expulsion du monde des vivants. Comme aux pires moments de l’Histoire ! Traiter la question de la fin de la vie par de tels raccourcis grossiers, des considérations religieuses, philosophiques ou politiques univoques, c’est se protéger derrière des mécanismes de défense hors-sol en se détachant de la société réelle dans une époque et un lieu donnés.

Il convient de resituer l’acuité du débat actuel dans son contexte : celui de la fin injustement cruelle chez des dizaines de milliers de nos contemporains. De fait, le constat que l’on meurt mal en France est régulièrement effectué et clamé. Ainsi a pu s’amplifier une peur collective issue des expériences pénibles de séparation avec les personnes aimées. La plupart des demandes d’euthanasie ou de suicide médicalement assisté trouvent leur origine dans le faible développement des soins palliatifs en France. Même si nous n’avons évidemment pas l’espoir de faire de cette phase ultime de la vie un moment agréable, il est urgent de donner ou de redonner aux soins palliatifs leur juste place et la possibilité d’accès à ces soins pour nos concitoyennes et concitoyens. Afin d’apaiser au maximum toutes les souffrances. A condition de ne plus laisser se dégrader notre système de soins. A domicile comme en établissement, les soins palliatifs nécessitent une surveillance attentive de proximité. Si les médecins et les autres soignants ne sont ni disponibles ni mobiles, suffisamment formés, faudra-t-il s’étonner de la pression croissante pour en finir au plus vite ?

Il n’empêche. Une forte pression, y compris parlementaire, ne faiblit pas pour que notre pays adopte une nouvelle loi. Ce sont des mesures fortes qui sont attendues en termes de politique de fin de la vie. Le développement des soins palliatifs est ici moins recherché que celui de solutions prestes et programmables censées respecter l’autonomie individuelle. Conscient de la charge durable, affective et financière, familiale et sociale qu’il représente, le futur candidat à mourir pourrait revendiquer ainsi son pouvoir de décision sur une profession soignante largement réticente. Voulant soulager son entourage du fardeau de la souffrance et des dépenses, il ferait œuvre utile dans un dernier élan d’altruisme. De là à représenter un exemple, il n’y a qu’un pas. Pas besoin d’expliquer à Madame X, très âgée, que si monsieur X y a eu recours, pourquoi pas elle ?

Ces représentations sont rassurantes pour un pays soucieux de sa « santé économique ». Certains postulants sont d’autant plus motivés, quand ils sont en bonne santé, qu’ils sont accoutumés à disposer de leur vie. Comme le sont les décideurs au nombre desquels figurent les législateurs ! Peu importe si le prétendant traverse une période de dépression temporaire à qui s’attachent des idées de mort. Alors, quel sera le vécu de son entourage après sa mort ?

Une proposition de loi[2] est déposée le 27 septembre 2017 en faveur d’une assistance médicalisée active à mourir afin d’obtenir une « fin de vie dans la dignité » en cas de douleur physique ou de souffrance psychique insupportable, autrement dit d’absence de soins palliatifs corrects.

En 2007, un certain Charb écrivait : « Mettre fin aux jours de quelqu'un ne coûte rien ou pas grand-chose. Même la Sécu y trouvera son compte. Un peu de bla-bla, une piqûre et dans le trou. » A notre époque où beaucoup de nos compatriotes ne mesurent pas encore les effets à venir des politiques de santé des décades précédentes, rappelons ce qu’en redoutait le même Stéphane Charbonnier dans le numéro 1150 de Charlie Hebdo du 2 juillet 2014 :

« Donc, si on est tout seul au fond de sa blouse à être convaincu qu’il faut mettre un terme à la vie de ce qu’on considère comme un mourant, on peut le faire. »

Faut-il changer la mort comme l’écrivaient conjointement deux célèbres auteurs disparus ?[3]

Il faudrait changer d’abord et surtout la fin de la vie qui implique un aspect essentiel : l’accès aux soins.

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