De ci de là, les personnels en gériatrie se plaignent fréquemment du manque d’hommes parmi eux ou plutôt parmi elles.
En France, le pourcentage des femmes avoisine les 90 % parmi les salariés travaillant en EHPAD. Pas forcément surprenant quand ce sont elles qui assumaient traditionnellement, il y a peu encore, de manière purement gratuite, les tâches essentielles de l’accompagnement des personnes âgées de leur entourage familial. L’inégalité salariale en défaveur des femmes occupant ces emplois considérés comme subalternes viendrait alors compléter le tableau.
De tous temps, l'homme fut considéré comme faisant partie du sexe dit "fort". Dans un tel contexte, travailler dans un service féminisé peut parfois toucher son orgueil, tant cette fonction semblerait dégradante à ses yeux et à ceux d’autrui. Au point d’être l’objet de railleries.
De plus, la politique de non-reconnaissance d’un nécessaire haut niveau de qualification a pu refréner bien des ardeurs et vocations.
La première raison invoquée est la force physique afin de mobiliser les résidents dépendants.
Récemment, au cours d’une visite dans une unité de soins palliatifs à Osnabrück en Allemagne, cette question a été évoquée par nos interlocutrices en réponse à notre interrogation sur des améliorations souhaitées. Les raisons avancées en sont la préférence masculine de certains patients afin d’échanger sur des thèmes qui sont plutôt l’apanage de ce sexe. Un deuxième argument concerne les soins intimes qui peuvent être moins bien vécus selon le genre. La force physique vient en troisième lieu. Enfin, les soignants masculins auraient parfois une vision différente de celles des femmes, d’où un mélange d’approches considéré comme un avantage ; l'environnement de travail en serait davantage détendu.
Ainsi, les contacts professionnels entre femmes peuvent être vécus comme déséquilibrés en l’absence d’hommes. Les femmes seules, laissées entre elles, connaîtraient des relations de travail qui sont moins bonnes que si des hommes sont présents.
Au-delà de ces considérations, on peut s’interroger sur les raisons profondes, culturelles, historiques, cachées, d’un tel désir. Les modèles parentaux viennent d’abord à l’esprit. Seraient présents un glissement, une translation inconsciente du modèle habituel, traditionnel, d’accompagnement des personnes âgées. Un reflet de notre société conforme à une tradition mais totalement déformé sous l’angle de la revendication moderne d’interchangeabilité professionnelle des sexes. Autrement dit, l’accompagnement en famille, avec des rôles complémentaires dans le couple des proches aidants, subsisterait comme une référence jusque dans les institutions, services à domicile ou en établissement. J’ai soupçonné ce mécanisme dans les représentations du médecin et de l’infirmière : papa docteur et maman infirmière dans leur relation à la régression des patients. Ne pourrait-on pas l’extrapoler à rebours, au couple descendant, celui des enfants devenus des proches aidants ?
Une autre piste est celle d’une complémentarité dans les représentations générales dans la société actuelle. D’un côté des tendances masculines à la généralisation et à la théorisation, héritées de la vie professionnelle et publique plus ancienne. De l’autre la douceur féminine fondée sur le dogme d’une sensibilité féminine plus prégnante que celle des hommes, conséquence historique d’une vie au foyer au service gratuit de la famille. Ainsi, le rôle féminin prééminent dans l’éducation et les soins destinés aux enfants prédisposerait les femmes à mieux s’occuper de la dépendance des personnes âgées. Etre maternant demeurerait alors irrévocablement une loi du genre.
Le dévouement, la patience, le charisme demandés, voire exigés, pour s'occuper de personnes âgées sont-elles des qualités relativement rares chez les hommes ? Au pire, le masochisme serait-il avant tout féminin pour accomplir des tâches exigeant empathie, abnégation, voire sacrifice ?
Ainsi peut-on relever avec un rapport remis à la DREES en 2016 que « les missions dévolues aux aides-soignantes relèvent de tâches de type domestique. Elles entrent ainsi en résonance avec d’autres représentations sociales, notamment celles relatives à la division des tâches entre les femmes et les hommes. Dans un métier quasiment exclusivement féminin, les aides-soignantes font ainsi face à la difficulté de valoriser des compétences qui, dans un autre registre, relèveraient de qualités « naturellement » associées à leur genre. Cette tension traverse les discours des personnes rencontrées, qui concilient difficilement leurs revendications en termes de compétences et de professionnalisme et la mobilisation de traits de caractère ou de qualités intrinsèques dans leur description du profil de l’aide-soignante type (bienveillance, empathie, patience, générosité, gentillesse, écoute, observation, etc.). »
Référence :
http://drees.solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/dd05.pdf