Non les soins palliatifs ne progressent pas
Papa était âgé de 88 ans. Il vivait seul dans sa maison selon sa volonté depuis que nous avons dû placer maman en EHPAD[1] suite à une hospitalisation pour embolie pulmonaire. Elle souffre de la maladie de Parkinson à un stade très avancé. Ainsi, en urgence, il y a deux ans, nous avons dû chercher un EHPAD car elle était déclarée sortante de l’hôpital. Le seul établissement qui l’ait acceptée est situé au fin fond du département, loin de nous. Nous nous en sommes accommodés et allons la visiter chaque semaine. Ainsi, je vois comment cela se passe dans les EHPAD : personnel réduit et non formé….
Il y a quelques semaines, l’état de santé de papa se dégrade ; il est hospitalisé à la suite d’une chute avec traumatisme crânien. Les explorations complémentaires révèlent des métastases hépatiques, pulmonaires et osseuses consécutives à un cancer de la prostate traité depuis plusieurs années.
Rapidement, il est mourant, couvert d’œdèmes, dénutri et douloureux ; il n’est plus levé au fauteuil depuis la quasi-totalité de son hospitalisation.
Le médecin chef du service nous demande de trouver une place dans un EHPAD du département le plus rapidement possible. « Si vous ne le faites pas, il est sortant, il rentrera chez lui ». Pas de place pour lui en soins de suite.
Nous rédigeons rapidement quantité de dossiers déposés partout. Les EHPAD répondent par la négative, son cas est déclaré trop lourd.
Je vais le voir comme chaque jour de la semaine. Quand j’ouvre la porte, je crois qu’il est décédé. En appelant bien fort, il émerge et me reconnait. Il est alors transféré dans une unité dite « de débordement » de l’hôpital.
Je croise la cadre de santé de garde pour cette « unité » qui n’en est pas vraiment une, au fin fond d’un couloir d’un espace unité fermé, pour solliciter des nouvelles. Je lui dis que je trouve l’état de mon père très dégradé. Elle réplique qu’elle ne le connait pas et se contente de me demander si j’ai des réponses quant au placement en EHPAD. Je lui propose de venir voir l’état dans lequel il est. Alors, sur le pas de la porte, devant lui, elle s’exclame : « Ah oui, répond-elle, en effet !». Puis elle s’en va sans rien ajouter…
Ma sœur téléphone à l’assistante sociale à plusieurs reprises car elle est difficile à joindre. Lorsqu’elle peut lui parler, la réponse est la suivante : « j’ai lu dans le dossier que vous ne souhaitez pas vous occuper de votre papa. Or il est sortant, son état étant stabilisé. C’est le médecin qui l’a écrit ».
Faut-il se justifier alors que nous sommes en train de voir partir notre père dans un tel état de dégradation ?
Nous, ses enfants, lui rendions visite tous les jours à la maison après notre travail ainsi que les weekends. Nous entretenions la maison et son jardin.
Où est l’accompagnement des familles ? Où est l’écoute de notre peine ? Nous qui sommes si proches de notre papa !
Papa n’est plus transportable. Désormais, si l’on a une réponse positive d’un EHPAD, il mourra dans le transport, sa vie ne tenant plus qu’à un fil.
Aucune dignité, aucun accompagnement ! Au contraire, on vous culpabilise. Papa a travaillé durement toute sa vie depuis l’âge de quatorze ans et a cotisé.
Je suis très triste. Toute notre famille est affectée, il faut tenir le coup au travail. Je suis dans la fonction publique hospitalière depuis début 1981.
Je tiens à remercier les soignants IDE[2]et AS[3] de l’unité de débordement pour leur professionnalisme. Il faut être proche des soins pour rester humain.
Finalement, papa est transféré mourant. Il est déposé sur un brancard puis dans une ambulance pour partir vers le SSR[4] d’une petite ville distante de deux dizaines de kilomètres. Je suis présente lors de son départ avec un grand sentiment de culpabilité et d’écœurement. Comment peut-on traiter de cette manière une personne âgée douloureuse en fin de vie du fait de métastases généralisées ? Lorsque les ambulanciers entrent dans la chambre, je ressens leur gène ; même eux ne s’attendaient pas à une telle situation !
J’essaie de faire comprendre à papa qu’il part pour cette ville. Pauvre homme, a-t-il compris ?
Je ne pardonnerai jamais. Les nuits sont blanches, les images restent. J’aurais dû le défendre et j’ai fui pour ne pas faire de vague. Mais il est vrai que je fus ainsi éduquée par mes parents. Il fallait être polie et dire merci, merci, encore merci.
Ma sœur est à la réception à destination. Une fois la douleur morale et physique prise en charge par le médecin du lieu et son équipe, papa peut encore dire ces derniers mots à ma sœur : « je suis bien là ». C’est la première et dernière fois qu’il exprime son ressenti. Il était si angoissé les derniers jours !
Très douloureux, il est enfin pris en charge par une praticienne dont la présence et l’accompagnement sont de grande qualité pour lui et pour sa famille. Elle m’appelle elle-même le dimanche matin ; cela fait du bien de ne plus ressentir, enfin, que son papa est de trop.
Désormais, il n’est plus considéré comme un imposteur, un profiteur, par un autre praticien hospitalier qui ne voulait plus de lui et qui émettait des a priori sans jamais faire l’effort de connaitre un peu de l’histoire de vie de son patient. Un malade qu’il ne venait même plus visiter depuis plusieurs jours.
Papa a travaillé toute sa vie et n’est jamais une seule fois parti en vacances. Méritait-il ce sort, lui qui avait les genoux et les hanches usées par son travail et les intempéries ? Il a inculqué à ses enfants le goût du travail bien fait, de l’engagement et surtout de la politesse et du respect. Il avait toujours peur de déranger.
Il décède le lendemain matin à 9 heures dans une unité dans laquelle il était enfin reconnu et accepté.
Merci à toute l’équipe du SSR de la part de ses enfants et petits-enfants.
L’église est bondée de parents et d’amis … Nous choisissons pour ses obsèques cette chanson de Daniel Guichard qui lui correspond si bien.
Dans son vieux pardessus râpé
Il a pris pendant des années
L'même autobus de banlieue
Mon vieux…
L'soir en rentrant du boulot
Il s'asseyait sans dire un mot
Il était du genre silencieux
Mon vieux….
Chez nous y avait pas la télé
C'est dehors que j'allais chercher
Pendant quelques heures l'évasion
Tu sais, c'est con!...
Maintenant qu'il est loin d'ici
En pensant à tout ça, j'me dis
"J'aim'rais bien qu'il soit près de moi"
PAPA...